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L'écrivain d'eau douce
31 janvier 2010

13/14 et 15 février 1960

On vient me chercher au milieu de la nuit. Je suis dans un GMC en compagnie du civil qui était dans l'avion avec moi, et d'un arabe, visiblement un félouze, qui n'arrête pas de marmonner dans sa langue. Au bout de quelques heures, on nous débarque au milieu du désert. Le jour ne pointe pas encore. On nous attache à trois poteaux de bois plantés en ligne, espacés de deux mètres environ. -C'est quoi tout ça? On nous exécute avant d'être jugés?!? On me répond par un coup de crosse dans la gueule. Et puis, ils se barrent. Ils nous laissent là ces cons! -Hé! T'es qui toi? Pourquoi t'es là?        Me demande le civil crasseux. Après avoir répondu à ses questions, il me dit qu'il est de Lyon. Qu'il a été condamné à mort pour le meurtre d'un bijoutier lors d'un braquage il y'a trois ans, et qu'à l'heure qu'il est, il devrait avoir perdu la tête depuis trois semaines. Tout comme moi, il ne sait pas ce qu'il fout là. L'aube commence à poindre, ce qui me permet de voir ce qui bouge et grogne près de nous depuis qu'on est là. Des cochons! Au moins une douzaine dans des cages réparties autour de nous. Quel étrange bestiaire! A l'horizon une espèce de tour Eiffel semble sortir du sable. Les parisiens ici?!? Là c'est sûr, je suis en enfer! Mais l'aube avançant, il semble que ça soit plutôt une sorte de derrick. Soudain, dans cette direction, un flash lumineux intense. Un truc plus brillant que mille soleils. Même en fermant les yeux et en baissant la tête, ça fait mal à travers les paupières. Un énorme coup de vent s'abat soudain sur nous, accompagné d'un grondement sourd. Et l'air devient brutalement brûlant. Je ne m'entends pas hurler. Des gouttes humides et brûlantes me tombent dessus. Une pluie qui n'a rien de fantôme. Je tombe dans les vaps. Je suis réveillé par des voix: -Bon, celui-là il est mort. Au frigo!... L'arabe bouge encore. A l'hôpital. Vite!... Le troisième est pas mal. Il a juste un oeil en moins... Y'a quatre porcs vivants. Allez on embarque tout ça!             Après je sens qu'on me porte. J'entends le bruit d'un camion, et je tombe à nouveau dans le coltard. Je me réveille car on m'asperge de flotte. Puis je sens qu'on me couvre d'une pommade. Je sais pas où je suis. J'y vois que d'un oeil, et tout est trouble. J'ai mal, je tremble de partout. Je gueule: -Vous m'avez fait quoi? Je suis où?!? Ils me font une injection, et je sombre à nouveau.                                                                                                       Je m'éveille à l'hôpital du camp. J'y vois à peu près. Je suis sous perfusion. Le toubib de la visite médicale m'ausculte. A nouveau prise de sang, prélèvement de peau et tout le bordel. -Vous avez pas honte de jouer avec nous comme des rats de laboratoire hein?!? Je veux voir mon avocate!!!  -Ecoutez-moi bien! Vous avez été condamné à mort. Votre grâce à été refusée. Vous n'êtes plus un humain! Vous êtes de la matière biologique! Réjouissez-vous! Votre corps contribue à la sacralisation du territoire national! Qu'il me dit. Je grelotte toute la nuit. Je vomis même dans mes draps. Au matin, avant de les faire nettoyer, le toubib prélève un échantillon de ma gerbe. Dans l'après-midi, il revient avec deux colons, tous deux les cheveux grisonnants. Ils me regardent comme une bête curieuse. -Est-ce qu'on l'emmène avec les autres à Djibouti? Demande le toubib.        -Non, il est trop amoché. Répond un des colons. Ils m'ont filé des calmants. Comme ça je dors à peu près. Ce matin, ils me donnent une soupe, que je m'empresse d'avaler, bien qu'elle soit dégueulasse. Il faut dire que j'ai rien bouffé depuis trois jours.                                         Nouvelle auscultation ce matin. Sur son dossier estampillé "Rapport d'analyse", le toubib indique: "Début de la chute des cheveux".           Après son départ, je m'aperçois que mes tifs partent à poignée. Le soir, il m'enlève la perfu, et on me remet dans ma chambre. Je suis de plus en plus faible.                                                                                                       

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