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L'écrivain d'eau douce
8 mai 2010

26 mars 1956

Aujourd'hui je suis chauffeur de permanence. Ils m'ont envoyé chercher le plus grand soiffard de toute la grande muette, à savoir l'adjudant Pauret.  Le mec, il a même plus le teint viticole. Il a la gueule mauve foncé qui vire au noir. C'est sans doute en voyant sa gueule qu'on a inventé l'expression «Etre noir». -Tu vois, quand j'étais en Afrique, j'apprenais aux nègres à conduire alors qu'ils avaient jamais vu une bagnole de leur vie! Qu'il me dit le Pauret. Ce con va bientôt me dire que la couleur de sa tronche est un héritage de l'Afrique. En tout cas c'est pas à cause du soleil tropical... Je l'emmène au cercle des sous-officiers. Joli nom pour une buvette à l'écart du camp, où il passe bien sûr le plus clair de son temps. Il m'a dit de venir le rechercher au bout d'une heure. Et là, surprise. Vu de l'extérieur, le bâtiment ressemble à un blockhaus dégueulasse, gris avec de la rouille qui bave sur le ciment. Mais une fois dedans, c'est un vrai lupanar. Des serveurs en satin bleu et épaulettes d'or, et un décor rococo digne des meilleurs bordels. Mais y'a que des mecs. Le pick-up crache du jazz et du mambo à fond la caisse. -Eh ! Pauret!  C'est ça le beau gosse qui t'accompagne? Pas mal du tout! C'est un sous-off en retraite qui me reluque de le tête au pieds avec un sourire de pervers. Il ose pas me toucher. Il me trouve sans doute trop vieux et pas du tout avenant. Mais il ne se prive pas avec un jeune appelé qui fait le service. Le mec doit avoir dix huit ans à peine. Il se prend une main au cul à chaque passage. Il tente de faire comme si de rien n'était, mais il est vert de peur . Il doit se demander comment il va finir ses dix huit mois sans se faire enculer. En voilà un qui préférerait aller en Algérie! Pauret est affalé au bar, il ne réagit plus quand on lui parle. Sa tronche est désormais d'une couleur indéfinissable. Le néon fait ressortir les boutons et les défauts de son visage. Il ressemble à un champignon vénéneux. J'arrive péniblement à le faire asseoir dans la Jeep. Le trajet a duré moins de cinq minutes, ce qui ne l'a pas empêché de gerber dans la bagnole. Le vrai problème de l'armée française n'est ni l'alcoolisme ni la pédérastie, ni même le manque de moyen et le matos pourrave. Non, le vrai problème est l'incompétence criante des cadres, accentuée par le jenfoutisme des appelés. Une bande de guignols tout juste bons à défiler et à laver les chiottes...                                                                                                                                    VERSION_AUDIO_12

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