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L'écrivain d'eau douce
14 mai 2010

14 mars 1956

af3Le train arrive enfin à Draguignan. J'ai mal partout. J'ai pas dormi. Les pouilles du 4ème RAML nous débarquent sans ménagement, pour nous rembarquer aussitôt dans des GMC dont le kaki est tacheté du caca de la route boueuse.  La douzaine d'"engagés volontaires" qu'on est, a une moyenne d'âge bien plus élevé que les gamins qui nous emmènent. C'est clair qu'on est tous des malfrats à qui on a donné le choix entre le kaki et le cachot. Déjà que les pouilles c'est pas accueillant, avec nous ils ont encore moins de raisons d'être aimables. Mais bon, l'air est doux, le ciel est d'un bleu intense et y'a des mimosas. Comme le jour de mon mariage. Qu'est-ce que ça chlingue le mimosa... Tout de suite, perception du paco, tout le monde en kaki et ranjos. Puis, séance de scalpage à coup de tondeuse. Officiellement, la coupe à raz chez les bidasses, c'est pour une question d'hygiène. Mais la plupart des gens pensent que c'est pour les humilier. Moi je pense pas ça. Je pense que c'est beaucoup plus psychologique. Ce qui nous identifie le plus, c'est notre tête. En changeant nos tronches, l'armée veut nous faire comprendre qu'à partir de là on devient quelqu'un d'autre. On voit nos cheveux tomber comme des serpents qui laissent leur vieille peau derrière eux après leur mue. Un homme est mort, une nouvelle créature est née. Même coiffure, même couleur que les autres, même façon de se déplacer, ensemble, tous pareils, comme un seul, comme une seule machine à tuer... Seules nos âmes y échappent au début, avant de se plier elles aussi... L'individu n'existe plus, quelqu'un d'autre se met à penser à sa place... Le principe était le même dans les camps de concentration. Il fallait faire comprendre aux déportés que rien ne serait plus comme avant...    VERSION_AUDIO4

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