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L'écrivain d'eau douce
27 mars 2010

11 mai 1956

Deux bidasses viennent me chercher vers dix heures. Ils me font entrer dans une grande pièce crade, presque vide et mal éclairée, avec une grande table et des chaises vermoulues. Ils me font asseoir sur la chaise qui est au milieu de la pièce, et restent debout de chaque côté de moi. Entrent alors en silence, le capitaine, un gendarme, un civil en costard, et un caporal avec une machine à écrire. Ils prennent place derrière la grande table.     Je leur dis bonjour. Pour toute réponse, le gendarme me demande de décliner mon identité. Je m'exécute. Puis, le capitaine me dit: -Je crois que vous avez beaucoup de choses à nous dire... Alors j'entame méthodiquement le récit de mon enlèvement, avec tous les détails: Viault égorgé, la description physique d'Omar et des autres, pourquoi ils m'ont pris pour Polky, ect... Jusqu'aux circonstances troubles de mon évasion. Pour conclure, je répète avec insistance que j'étais otage et non déserteur.     C'est alors que le civil se lève d'un coup et m'attrape par le colback.  -Qu'est-ce tu crois Ducon?!? Tu crois que j'ai que ça à foutre de venir de métropole dans ce bled au milieu du désert pour entendre tes conneries d'otage?!? Hein?!? C'est de meurtre qu'on t'accuse! De meurtre! T'as compris?!? Alors maintenant tu craches connard! T'as compris?!? Il se calme et se rassoit. Après avoir été tétanisé quelques secondes, j'entreprends le récit du viol et de l'assassinat de la petite berbère, en précisant que si je l'ai tué, c'était pour mettre fin au viol collectif dont le lieutenant Polky était le seul instigateur. Le capitaine et le gendarme ne cachent pas leur trouble à la fin de mon histoire. Le caporal continue de taper froidement mes déclarations sur sa machine à écrire. Le civil se prend la tête dans ses mains. Il explose à nouveau: -Je suis pas là pour le meurtre d'une bougnoule! Putain de merde! Crache!!! Alors j'évoque avec foule de détails, comment j'ai achevé le sergent Reichmann. Si les militaires semblent de plus en plus dans l'embarras au fil de mes aveux, le civil, lui, me gueule à nouveau dessus: -Ecoute-moi Dufroy! Je suis pas un militaire, tu le vois bien! Je suis donc là pour une affaire civile, t'as compris?!? Toutes les cochonneries que t'as pu faire en Algérie, j'en ai rien à foutre! C'est pas mon problème! Il me sort alors un truc de sa mallette. Je reconnais sans mal mon grand couteau, auquel une étiquette avec de la cire est attachée. -On a trouvé ça dans ton paquetage, c'est bien à toi? -Oui, c'est mon couteau de chasse. -Tu chassais quoi le onze mars au soir sur la corniche de Pail? Hein?!? La femme? Celle-ci par exemple?!? Il me balance une poignée de photos sur les genoux. Sur les premières, j'y vois la 4CV de Marie-Louise. Je reconnais le numéro de sa plaque. Elle est sur une pente boisée, toute cabossée et à moitié calcinée. Puis, des photos de l'intérieur. Marie-Louise y apparaît la gueule ouverte avec une expression de terreur, et de la suie sur ses petites lunettes. Les jambes sont calcinées, mais le haut du corps est juste un peu noirci. Elle a les tripes à l'air et la gorge ouverte. ça ressemble à un meurtre mal camouflé en accident. Le mec en costard reprend la parole. -L'assassin a pas mis assez d'essence, et il pleuvait des cordes ce soir-là... Dommage pour lui, ça aurait pu être pris pour un simple accident... En plus, il a vraiment pas été discret. Il a été vu avec la victime, dans la voiture de cette dernière, sur le parking qui est juste au dessus. Y'avait une moto garée à côté. Une Triumph Thunderbird. Très rare sur nos routes des machines comme ça! C'est la moto de Marlon Brando! Et comme par hasard t'as la même! Curieux, non?!?  Autre chose. On a le témoignage d'un palefrenier, qui sortant de son écurie au lieu-dit La Renardière vers minuit, a vu une moto passer sous la pluie battante, et, détail intéressant, un jerrican était attaché à l'arrière...   Enfin, pour conclure, ton couteau est très propre, mais à sa base, on a trouvé un peu de sable, normal, mais surtout un peu de sang qui correspond en tous points à celui de la victime. Maintenant, crache! As-tu assassiné mademoiselle Lefoll Marie-Louise née le 04/09/1932 à Alençon, et résident dans cette même ville, rue de Bretagne?                                                                                                                                 Au début de l'interrogatoire, je me disais: Il est malade ce mec, qu'est-ce qu'il me veut? Mais là...Soudain...Comme un éclair, tout m'est revenu. J'avais souvenir de ce dernier rencard avec elle sur la corniche. Mais ça s'arrêtait là. J'avais rangé tout ça dans un coin de ma mémoire, comme j'avais remisé le couteau dans mon paquetage dès mon incorporation à Draguignan. Ce soir-là, la veille de mon départ, je voulais plus que le touche-pipi habituel. Elle s'est à nouveau refusée à moi. Je suis rentré dans une fureur noire, et j'ai sorti le couteau... Y' en avait partout... Elle a crié... Pas longtemps... J'ai ensuite poussé la 4CV dans le ravin. Je suis revenu avec un jerrican d'essence, piqué dans l'atelier du père, en passant par les petites routes, pensant ne pas me faire repérer. Après, j'ai fait comme si rien ne s'était passé...                                    -Ho Dufroy! Tu dors ou quoi?!? Tu veux pas répondre? Très bien! Tu seras plus bavard à Alençon. Demain je t'emmène! On me raccompagne, au gnouf cette fois...                                                                                                         

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