2 mai 1956

Je me lève, la tête dans le cul comme d'habitude. C'est curieux, personne n'est venu me réveiller. Devant ma tente, à quelques mètres, il y' a un vieil appareil photo sur un trépied. Je sors pour pisser, sans faire gaffe à mes ravisseurs. Je commence à uriner, quand je sens le tranchant d'une lame de couteau contre ma carotide, et le bras d'Omar qui enserre mon torse. Il me jette à terre et me colle un journal sur la gueule. -Bonjour, Monsieur Norbert Dufroy! Qu'il me dit. Sur le journal, dans un petit paragraphe, je vois une petite photo de Viault, tout sourire, et à côté ma sale tronche qui fait la gueule. C'est la photo prise à Draguignan, après que le coiffeur m'ait mis la boule à zéro. L'article joint est très court: "Avis de recherche pour deux déserteurs". Y'a nos noms, nos grades, et le lieu de notre "Désertion". C'est vrai, pour eux, faut mieux qu'ils disent qu'on est déserteurs, parce que deux mecs enlevés d'un coup, comme ça, ils passeraient pour des cons. D'ailleurs c'est des cons... Omar me fout un coup de pied.    -Je voulais te prendre en photo avec ce journal récent, pour convaincre les tiens que nous te tenons, quand j'ai vu ce petit article dedans... Je hais les blancs. Encore plus quand ils sont menteurs! Tu vaux rien! Donne-moi une seule raison de te rendre aux tiens?!? Il me refout un coup de pied. -C'est pas les miens... Que je lui réponds. -C'est aux chacals que je vais te donner! Eux, c'est vraiment les tiens! Il va comme pour m'égorger, puis il se ravise. Il parle aux deux autres, qui m'entravent les pieds et les mains, pour me balancer ensuite dans ma tente, en mettant deux selles de dromadaire à l'entrée pour m'empêcher de sortir. Par une fente de la toile, je vois Omar s'éloigner à la hâte au milieu des tourbillons de poussières. Dans la soirée, il est de retour. Il discute vivement avec les deux autres. Ils m'ont lié les mains par devant. J'en profite pour écrire ces quelques lignes, peut-être les dernières...