30 avril 1956

Ce matin, en sortant de la tente, le spectacle est à couper le souffle. Le ciel et les dunes sont d'une teinte pastel incroyable. J'ai l'impression d'être au coeur d'un tableau de maître. Moi qui déteste le matin, là, ça vaut vraiment le coup de se lever si tôt. Mes geôliers entament leur prière matinale dans ce paysage féerique. Ce qui frappe chez les musulmans, c'est la sobriété de leur religion. Ici, on va à l' essentiel. Le matériel n'a pas sa place. On ne représente pas ce qui n'est pas représentable. Ici pas d'évêques avec des dentelles ridicules. Pas de pape qui prêche la vertu, alors que le plafond de la chapelle sixtine ferait rougir n'importe quelle fille de joie. Pas non plus de portrait de Jésus l'hébreu avec des yeux bleus et des traits nordiques. Point d'indulgences où on peut faire les pires saloperies, du moment qu'on participe aux deniers du culte. Bref, pour eux, Dieu ne s'achète pas. J'ai lu le Coran à la bibliothèque de la prison. Il y' a un passage où l'enfer est décrit comme un endroit où on ne vit, et où on ne meurt. Je dois être en enfer depuis longtemps alors...             Vers midi, on fait une halte devant une borne. Bien que très érodée, on parvient à déchiffrer "TINDOUF 14 KMS".  Omar continue sa route, me laissant là avec les autres. J'ai eu le temps de consulter les cartes d'état major pendant les journées de glandouille avec la section Polky. Tindouf est à la croisée des chemins avec la Mauritanie et le Sahara espagnol. Trois heures plus tard, Omar revient avec son dromadaire chargé de vivres et de flotte. Il a l'air soucieux et ne dit mot. On reprend la marche. Le soir, après le thé, Omar, jusque là silencieux, me dit soudain: -Y'a un problème... Les tiens disent que tu n'es pas manquant. Que tu continues d'exercer tes fonctions.  Ils disent qu'on bluffe. Ils veulent pas négocier, car ils disent qu'il n'y a rien à négocier... Puis, il va se coucher.