19 avril 1956

Ici, le soleil commence vraiment à cogner. Mais pas le temps de bronzer. Très vite, on nous donne l'ordre de quitter notre position. On arrive pas très loin de la frontière  marocaine. On a ordre de tirer sur des félouzes qui tentent de se replier vers le Maroc. Les canons tirent quelques obus à longue distance. Mais curieusement, à part le sable soulevé par les explosions, on ne distingue aucun mouvement.  Polky regarde dans ses jumelles en faisant une moue dubitative. Il demande confirmation au PC. -On est arrivé trop tard. On se casse! Conclut-il. On remballe. On est de retour vers notre position à la nuit tombante. Demez est inquiet. Il tente plusieurs fois de joindre les mecs restés de garde au campement avec la radio, en vain. En arrivant, on comprend leur silence. Ils sont crucifiés, les tripes à l'air et la queue dans la bouche sur une clôture. On dirait des rats de laboratoire après opération. En voyant ça, les mecs restent pétrifiés d'effroi. Puis après une ou deux minutes, une colère froide précède un délire rageur. Ils hurlent dans le vide. Un vieux berger à moitié invalide, a le tort de passer près du camp à ce moment-là. Les mecs courent après en beuglant des mots incompréhensibles dans leur ivresse de haine. Ils lynchent le vieux en quelques secondes. Curieusement, tout ça me laisse froid. Je trouve ces mecs ridicules. Ils n'ont pas l'air de comprendre que dans une guerre il n'y a que des méchants, quelque soit le côté. Que tous ses acteurs sont en roue libre, dépourvus d'humanité tant que la boucherie dure. Nos quatre écorchés vifs ne valaient pas mieux que leurs bourreaux. Parmi eux, il y' avait cette petite pute de caporal Moyet qui collectionnait les oreilles des félouzes. Oeil pour oeil, dent pour dent...